DISCOURS DE MODIBO KEITA A L'ASSEMBLEE FEDERALE en avril 1959 à Dakar

Publié le par ousmane.over-blog.net

Monsieur le Président,
Messieurs les représentants de l'Assemblée fédérale,

En vertu de l'article 6 de la Constitution du Mali, le bureau de l'Assemblée m'a fait l'honneur de me désigner pour la présidence du Gouvernement. Je l'en remercie et il m'est agréable de me présenter aujourd'hui devant l'Assemblée pour une déclaration d'intentions...

Après le référendum du 28 septembre 1958, les hommes politiques africains qui ont opté pour la Communauté des États autonomes, se sont trouvés divisés dès que s'est précisé le sens véritable de leur vote.
Certains estimant que la Communauté est une fin en soi, trouvent tout à fait normal que les États conservent et développent leur autonomie autour de la France, celle-ci devenant le centre de gravité.
D'autres considèrent que la Communauté est une étape qui doit permettre le regroupement des États autonomes et leur évolution vers la construction d'un grand État africain indépendant, d'une grande nation africaine.

Les Communautés sans perspectives évolutives se sont ingéniées à discréditer aussi bien en France qu'en Afrique l'idée de la Fédération de la Communauté africaine.
Devant cette offensive savamment organisée et puissamment soutenue, les fédéralistes se sont réunis à Bamako les 29 et 30 septembre 1958 et ont décidé la création d'une Fédération primaire des anciens États de l'A.O.F.
Le Sénégal, le Soudan, la Haute Volta et le Dahomey, par la voix des Chefs des Gouvernements ou de leurs délégués ont apporté leur adhésion au principe de cette création. C'est Pour donner corps à cet engagement que fut organisée à Dakar la conférence historique du 17 janvier 1959 où les Constituants des 4 États ont fait le serment de défendre la Fédération créée : le Mali, et de réaliser l'unité politique, support indispensable de l'unité africaine.
Mais le Soudan et le Sénégal sont demeurés fidèles à leur serment et aux élections législatives des 8 et 22 mars, donnaient aux fédéralistes une victoire écrasante. Une conférence du 24 mars créait un support politique au Mali : le Parti de la Fédération Africaine et convoquait pour le 4 avril l'Assemblée législative fédérale.

... La Communauté est fondée sur l'égalité et la solidarité des peuples qui la composent…
Or, certaines décisions du Conseil exécutif situent la République française comme si elle n'était pas membre de la Communauté.
Nous comprenons fort bien les susceptibilités et les réticences de la France à perdre sa personnalité au profit de la Communauté, à se fondre en elle.
Ne faudrait-il pas dans ces conditions donner à la Communauté un contenu plus dynamique ? Un transfert de compétences tel qu'il est prévu au dernier alinéa de l'article 78 de la constitution, permettrait une évolution de l'Etat autonome en État pleinement souverain, la Communauté devenant ainsi une confédération multinationale.

…L'action de mon gouvernement sera dominée, orientée par notre option politique. Toutes mesures tendant à resserrer davantage les liens de solidarité entre le République du Sénégal et la République Soudanaise seront recherchées et appliquées …

Dans le domaine économique, les idées directrices de la planification seront arrêtées en commun, car il est impensable que chaque État établisse son programme en ignorant celui du partenaire.
Il est essentiel que le Mali ait une économie stable, cohérente et dynamique. Cette économie reposera sur le paysannat qui groupe environ 90% de la population et d'une industrie moderne. Par la coopération et la modernisation agricole, il sera offert au paysan les moyens lui permettant de relever son niveau de vie et de satisfaire les obligations d'une évolution sociale de plus en plus accélérée. Une action d'une telle envergure exige de la rigueur dans la gestion du bien public. Mon Gouvernement ne couvrira aucune malversion, bien au contraire, dans le domaine de la fonction publique, des mesures particulières inciteront les agents à comprendre qu'ils représentent des rouages indispensables de la vie de la Fédération et qu'ils doivent s'élever au niveau d'une conscience nationale. Ils seront les tout premiers à subir les sacrifices que nécessite la conquête de l'unité et de l'indépendance africaine.

Enfin, le travail doit être un dogme sacré. Aucun pays ne peut vivre et se développer uniquement avec les apports extérieurs. Nous devrons compter avant tout sur nous-mêmes et exploiter judicieusement toutes nos possibilités ; pour atteindre cet objectif, il nous faudra raffermir notre volonté de sauvegarder notre fierté et notre indépendance, vivre d'abord du pays en réduisant notre train de vie. Une économie organisée et relativement libre exige une consommation à caractère national…

Il faudra dominer les particularismes et égoïsme locaux au point de pouvoir les exploiter au profit du Mali, la patrie retrouvée.

A ces tâches exaltantes qui conditionnent l'avenir de notre pays, je convie, les hommes et les femmes, les jeunes, force vive et avenir du Mali, les travailleurs, avant-garde des masses organisées, engagées dans la lutte pour l'indépendance nationale, les paysans, les éleveurs dont les convictions une fois assises sont inébranlables, bref toutes les couches sociales, pour que notre Mali, leur Mali soit par son rayonnement , la renaissance du Mali des 13e, 14e et 15e siècles, de ce Mali, témoignage de la puissance noire, de ce Mali organisé et de réputation mondiale, alors que des nations dominant aujourd'hui par leur culture et leur civilisation étaient encore au berceau.

Voilà, mes chers Collègues, brièvement présenté, sans aucune nuance, sans équivoque, l'essentiel du modeste programme qu'entend réaliser mon Gouvernement ; les difficultés internes, les attaques sournoises ou ostensibles des adversaires du Mali ne nous distrairont pas de l'action à mener pour atteindre nos objectifs : réalisation de l'unité et de l'indépendance africaines, construction d'une grande nation africaine fière de sa liberté et de sa prospérité, associée à la France, et qui, nourrie à l'humanisme français et réhabilitant l'humanisme africain, permettra le rayonnement irrésistible de la culture négro-africaine.

Publié dans communautés

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article